Innovation circulaire : la technologie seule ne suffit pas

Thomas Vandenhaute

Il y a 10 ans, l'innovation industrielle était systématiquement liée à la technologie. Mais l'innovation technologique est-elle encore suffisante, dans un monde en perpétuel changement, pour relever des défis complexes comme la transition d'un modèle économique linéaire de type "prendre-produire-jeter" vers une économie circulaire ? Apprendre à apprendre, ainsi que la mise sur pied d’une organisation apprenante, sont la clé d’une innovation circulaire.

Bien entendu, nous devons développer des matériaux que nous pouvons réutiliser plusieurs fois sans qu'ils se dégradent, des produits conçus intelligemment et connectés, de nouvelles méthodes de production comme l'impression 3D et de meilleures techniques de tri et de recyclage. Mais nous avosn déjà beaucoup progressé sur le plan technologique. L'innovation ne concerne pas que les produits et la manière de les fabriquer, elle concerne aussi les modèles d'entreprise ou les stratégies commerciales. En effet, les clients attendent plus que des produits, ils veulent des solutions.

Pour ce faire, il est nécessaire de combiner les connaissances. L'innovation circulaire n'est pas le monopole du département R&D et ne sera possible que si toute l'organisation s'engage. Il convient en outre d'assurer une collaboration à travers toute la chaîne de valeur. On ne devient pas circulaire tout seul. Les fournisseurs et les clients sont impliqués, tout comme les distributeurs et les installateurs ou encore les prestataires de services logistiques et financiers.

Impulsions en faveur d'une innovation autre que technologique dans et entre les entreprises

  • Stimulez les interactions informelles entre collaborateurs. Les discussions à la machine à café fotn parfois naître plus de nouvelles idées que les réunions de management. Donnez suffisamment de temps aux collaborateurs pour déterminer eux-mêmes les actions. C'est comme ça que Google a inventé son Gmail ! Impliquez également des personnes à qui, en temps normaux, vous ne poseriez pas la question. C'est justement le mélange d'approches qui permet de dégager de nouvelles perspectives.
  • Mettez les mains dans le cambouis. C'est comme apprendre à rouler en voiture ou à nager. Il peut être utile de vous informer et d'étudier les sujets à l'avance, mais le processus d'apprentissage ne commencera vraiment que quand vous serez mis en situation réelle. Expérimentez et osez commettre des erreurs (calculées).
Avec " Lease a Jeans ", un jeans qui ne s'achète pas, mais pour lequel on conclut un abonnement, MudJeans est considérée comme un leader de l'économie circulaire. Pourtant, à l'origine, cette formule n'a pas rapporté ce qu'ils espéraient. Mais au lieu de mettre un terme à l'aventure, ils ont simplifié le modèle de leasing, ce qui a attiré de nouveaux clients.
  • Définissez des objectifs convenus d'un commun accord et clairs, puis veillez à ce que les systèmes d'évaluation et de rémunération appliqués dans votre entreprise ne soient pas en porte-à-faux avec le comportement souhaité.
Prenons l'histoire que nous a racontée Agfa Graphics lors du Circular Economy Connect. Agfa ne vend plus de plaques d'impression en aluminium depuis belle lurette, mais elle les loue à de grandes imprimeries sur une base " pay-per-use ", puis elle les reprend après utilisation. Elle peut ainsi récupérer l'aluminium de qualité supérieure dont les plaques sont fabriquées et le réutiliser pour en produire de nouvelles. Tout était en place : un partenaire pour la logistique inversée, la tarification et la méthode de facturation, etc. Pourtant, au départ, le modèle de " la plaque d'impression sous forme de service " ne décollait pas. Une des raisons était que le département commercial était toujours évalué et rémunéré sur la base du volume de plaques d'impression écoulées. Les vendeurs n'étaient pas donc incités à proposer le nouveau modèle " pay per use ", qui ne prévoyait aucune vente de plaques d'impression. Le problème ne venait pas des intentions individuelles des commerciaux, mais bien du contexte dans lequel ils évoluaient. Après avoir adapté l'organisation du département, 40 % des plaques d'impression en aluminium d'Agfa sont désormais prises en leasing plutôt que vendues !
  • Avancez étape par étape. Bien entendu, des innovations dites " de rupture " peuvent s'avérer nécessaires, mais les innovations quotidiennes sont également importantes.
  • Cherchez l'inspiration et discutez avec d'autres entreprises, également en dehors de votre secteur, pour générer des idées. Partager ce que des leaders de l'économie circulaire ont déjà imaginé, voir ce qui est déjà possible. L'organisation au sein des entreprises ou entre elles peut encore être améliorée consciemment.
  • Trouvez des partenaires pour votre aventure circulaire. Partez de vos bonnes relations existantes. La coopération au sein d'une chaîne exige confiance et transparence, qui seront acquises plus rapidement avec une personne que vous connaissez. En tant qu'entreprise manufacturière, vous devez conclure une collaboration avec un fournisseur loyal pour améliorer le concept du produit, chercher un client fidèle qui sera prêt à essayer un " produit sous forme de service ", tenter de trouver un sous-traitant connu qui dispose déjà d'une certaine expérience avec votre produit et qui peut aussi prendre en charge le processus de remanufacture, etc. 
Interface, un fabricant de dalles de moquette, dispose d'un modèle " service-produit ". Si le client a besoin d'un nouveau sol, on regarde quelles dalles peuvent être réutilisées, après nettoyage, dans le nouveau projet ou chez un autre client. Lors de son introduction, le concept de leasing d'Interface a eu du mal à prendre son envol, car la dalle de moquette n'est pas vue comme un produit renfermant une valeur résiduelle. Pourtant, la société est parvenue à développer un nouveau modèle d'entreprise créant de la valeur sur la base de services en collaborant dans la chaîne avec des entreprises d'entretien et d'installation. Ce n'est pas la dalle de moquette, mais le service qui joue un rôle central. Il s'exprime dans un lieu de travail inspirant et un climat interne sain.

Mais vous devez également élargir votre horizon. Parfois, la solution se trouve chez un partenaire insoupçonné.

Thomas Rau, architecte et gourou de l'économie circulaire, aime raconter cette anecdote : Alliander avait besoin d'une nouvelle structure en acier pour un bâtiment d'exploitation circulaire : 6 500 m² de toiture. Ils ont demandé à des entreprises sidérurgiques si elles pouvaient les aider, mais le modèle de profit d'une société de ce secteur est basé sur une facturation au poids. Pas facile donc d'imaginer des solutions innovantes incluant moins d'acier et exigeant plus de travail. Finalement, ils se sont adressés à un fabricant de montagnes russes, qui doivent être démontées et déplacées d'une fête foraine à l'autre chaque week-end. Il est donc nécessaire de supprimer tous les kilos inutiles. Pour réaliser le toit, cette entreprise a utilisé 32 % d'acier en moins que la proposition moyenne de ses homologues de la sidérurgie. 
  • Et surtout : "keep calm". N'oubliez pas que la mise en place d'une gestion d'entreprise circulaire demande du temps. Il a fallu plus de cinq ans à Agfa pour s'organiser et s'adapter au modèle " produit sous forme de service ". Les entreprises actives du Circular Economy Connect nous expliquent toutes que l'intégration d'activités d'entreprise circulaires dans la stratégie commerciale, la mise en place des bons partenariats, etc. demande un apprentissage permanent. Le but n'est pas d'apporter un bon changement, puis d'en rester là. C'est un processus d'apprentissage de tous les instants, qui s'accompagne inévitablement de hauts et de bas, et parfois de frustrations. C'est pourquoi vous ne devez pas oublier de fêter les (petites) percées. Elles vous donneront de l'énergie pour continuer à avancer et amélioreront l'adhésion à vos ambitions circulaires.

Bref, en plus des innovations technologiques, il est important de créer un environnement qui permet d'apprendre pour engranger des succès circulaires. On perçoit de plus en plus le besoin qu’ont de nombreuses entreprises de diffuser largement les nouvelles idées dans l’organisation. Mettre sur pied une organisation apprenante est de plus en plus perçu comme un ‘must’.   

(Au dessus, photo d'une construction du toit chez Alliander (Source: http://www.staalmakers.nl)

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