Sirris a accepté l’invitation de l’EU-Japan Institute for Industrial Cooperation de passer une semaine au Japon ; nous y avons assisté à une série de conférences et visites d’entreprises. Notre mission : découvrir les dernières tendances et idées au Japon en termes de World Class Manufacturing. Nous rapportons ce que nous avons appris au Japon dans une série de blogs. Après Toyota, nous avons visité AVEX, un précurseur dans le domaine de la production centrée sur l’humain.
AVEX est un fournisseur de pièces de précision utilisées principalement dans les transmissions automatiques. Akihiko Kato, le propriétaire de l’entreprise, nous a raconté l’histoire de la remarquable transformation de cette société. Elle a connu une existence difficile jusque dans les années 1990. Le nombre de collaborateurs variait entre 20 et 30 d’année en année. Se développer était impossible, et les résultats financiers n’étaient pas satisfaisants. Akihiko Kato a commencé par attribuer les résultats médiocres à ses collaborateurs qui n’offraient pas de prestations acceptables. Mais il a réalisé, dans les années 1990, que son approche n’était pas la bonne : "En blâmant les collaborateurs, nous ne faisions aucun progrès. En fait, j’étais le responsable du blocage. J’ai décidé de complètement changer de cap, et depuis, je vise le bien-être des collaborateurs", a-t-il affirmé. "La société s’appelait alors Kato Seiki, mais cela suggérait qu’elle était de moi. Je ne le voulais plus. L’entreprise devait être à tout le monde. J’ai donc demandé aux collaborateurs de choisir un nouveau nom."
Prise de conscience
Une entreprise ne peut se développer que si ses collaborateurs s’épanouissent. Telle est l’essence de la philosophie d’entreprise d’AVEX. Et elle a grandi. AVEX compte aujourd’hui 400 collaborateurs et est maintenant active dans le monde entier. Bien sûr, de nombreuses entreprises affirment que leurs collaborateurs sont leur plus grand atout, mais peu le prennent autant à cœur qu’AVEX. L’approche centrée sur l’humain d’AVEX diffère sur deux aspects par rapport à la plupart des entreprises. Premièrement, AVEX part d’un respect sincère et profond pour ses collaborateurs. Le témoignage d’Akihito Kato n’était pas un discours classique pour cadrer avec les prétentions socialement souhaitables. Au contraire, son histoire venait tout droit du cœur, et on pouvait le ressentir. (L’interprète ne pouvait même pas contrôler ses larmes en entendant l’histoire de Kato.) Deuxièmement, l’approche centrée sur l’humain est vraiment le cœur de l’histoire de l’entreprise, et on remarque que le respect pour les gens y est beaucoup plus profond que dans la plupart des entreprises occidentales. Un PDG allemand nous a confié par la suite qu’on lui avait ouvert les yeux. Dans son entreprise, un chef de production se plaignait régulièrement sur des questions telles que la mauvaise qualité de la nourriture à la cantine. Il ne comprenait pas pourquoi un chef se mêlait de telles futilités quand il y avait de plus gros chats à fouetter. "Je comprends maintenant mon chef de production. Si vous avez vraiment du respect pour vos collaborateurs, vous devez résoudre ce genre de problèmes et ne pas les considérer comme des futilités" a déclaré ce PDG.
"Grandir ensemble"
Chez AVEX, l’épanouissement et le développement des collaborateurs commence dès la procédure de candidature. Ainsi, les candidats sont invités à participer aux réunions de la direction, afin de découvrir la culture de l’entreprise. Une "cérémonie d’accueil" est organisée dès le début pour les nouveaux collaborateurs, cérémonie à laquelle les membres de leur famille sont invités. Pour les travailleurs étrangers, l’entreprise prend même les frais liés au voyage à sa charge.
Une fois l’engagement conclu, un programme de formation détaillé est établi et des objectifs de développement sont fixés pour tous les collaborateurs. On sait que seule une fraction reste après une formation. Par conséquent, les formations initiales sont répétées après quelques mois. Chaque année, une journée "grandir ensemble" est organisée, où tout le monde doit indiquer ce qu’il souhaite apprendre. Les collègues en mesure de dispenser la formation souhaitée sont alors recherchés. En devant donner une formation, les formateurs apprennent plus que les participants.
Un pilier dans l’entreprise japonaise est "kaizen" (amélioration continue). Les entreprises occidentales voient "kaizen" comme une manière d’améliorer l’entreprise. Les collaborateurs doivent être formés pour pouvoir donner kaizen. Les entreprises japonaises inversent la logique : kaizen est considéré comme la méthode pour former les collaborateurs. "J’entends et j’oublie, Je vois et je me souviens, Je fais et je comprends", proclamait le philosophe chinois Confucius. On ne peut apprendre qu’en agissant. Si vous souhaitez que vos collaborateurs passent à un niveau supérieur et qu’ils comprennent, ils doivent être en mesure de s’exercer dans la pratique. Kaizen est, pour ce faire, l’instrument par excellence.
Évaluation et rémunération
De nombreuses entreprises ont un système de rémunération dans lequel les collaborateurs sont comparés à un employé moyen grâce à un système de cotation. Mais ce système n’est pas vraiment respectueux ni motivant. Avec un tel système, vous devez communiquer à la moitié de vos collaborateurs qu’ils performent en dessous de la moyenne. AVEX a donc abandonné ce système d’évaluation. Les collaborateurs sont désormais évalués par rapport à leur propre performance de l’année dernière. La croissance de l’employé est plus ou moins en ligne avec la croissance attendue ? C’est la question à laquelle on se plie. Bien sûr, il y a des différences. Certains collaborateurs sont très performants et se développent rapidement. D’autres se développent à un rythme plus lent, mais tous se développent. Les différences dans une organisation ne sont pas un mal. On n’a pas uniquement besoin de high performers. En pouvant déléguer des tâches plus simples à des collègues moins forts, les high performers peuvent se concentrer pleinement sur les tâches plus complexes et être plus rentables.
Que faire avec un talent qui vient demander une augmentation de salaire ? Kato répond à cette question par une autre question simple : "Vous voulez une augmentation ? Êtes-vous prêt à travailler encore 200 ans pour nous ? Si non, nous vous demandons de d’abord transférer vos connaissances à vos collègues, afin qu’ils soient aussi bons que vous. Si vous y parvenez, vous recevrez votre augmentation méritée." Les connaissances ne valent rien dans les mains d’un seul individu, les connaissances doivent devenir la propriété de l’ensemble de l’organisation ; ce n’est qu’alors que les connaissances sont vraiment productives.
Change Management
Comment lancer une telle transformation ? "Avant de pouvoir transformer votre organisation, vous devez changer en tant que personne", a déclaré sans réserve Kato. "Puis, vous engagez la réflexion auprès de vos collaborateurs ; ils doivent venir avec les réponses." C’est exactement le contraire de ce que font de nombreuses entreprises. Dans un processus de transformation classique, la direction fait une analyse, le PDG sélectionne une solution ou l’autre (5S, Lean, ...), après quoi on se demande comment la solution peut être vendue aux collaborateurs. Et on s’étonne au final de la résistance et du manque d’implication. Les Japonais abordent la question dans le sens contraire : ils commencent par susciter l’implication en écoutant sincèrement et en agissant sur les besoins des collaborateurs. Une fois qu’il y a une relation de confiance, les collaborateurs sont invités à réfléchir aux solutions nécessaires pour atteindre les objectifs de l’entreprise.
(Photo Confucius: http://a1.files.biography.com)