World Class Manufacturing au Japon - comment Toyota considère l’Industrie 4.0

Case
Pascal Pollet

Sirris a accepté l’invitation de l’EU-Japan Institute for Industrial Cooperation de passer une semaine au Japon ; nous y avons assisté à une série de conférences et visites d’entreprises. Notre mission : découvrir les dernières tendances et idées au Japon en termes de World Class Manufacturing. Nous rapportons ce que nous avons appris au Japon dans une série de blogs. Après Nissan, c’est au tour de Toyota.  

Toyota a été largement saluée pour le développement du système de production Toyota (TPS), connu en Occident sous le nom de « lean manufacturing » après une étude comparative du MIT au début des années 1990. De nombreux articles et livres sur la « lean manufacturing » déclarent que Toyota fait encore preuve de méfiance à l’égard des technologies TIC et a une forte préférence pour l’utilisation de systèmes visuels simples sur papier. L’exemple le plus connu est les cartes en papier kanban avec lesquelles Toyota gère sa propre chaîne de production et d’approvisionnement. Depuis la publication des premières études Toyota, le monde des TIC a connu une réelle révolution. Comment Toyota considère-t-elle ces évolutions en l’an 2015 ? Parlent-ils déjà le jargon et d’Industrie 4.0, cloud, smart glasses, Internet of Things, big data,… ou ne jurent-ils que par leur approche TPS classique ? 

Satoshi Kuroiwa, le responsable informatique de Toyota, chargé de la fusion du système de production Toyota avec les TIC, nous a confié sa vision de la mission d’étude européenne à Nagoya. Dans sa présentation, force était de constater que les Japonais sont très conscients du monde qui les entoure. Satoshi Kuroiwa a fait à plusieurs reprises référence aux développements en Europe à cet égard. Il a commencé par décrire la vision allemande de l’Industrie 4.0 et a également cité les programmes de recherche européens tels que ESPRIT. (Ce n’est pas sans importance ! Connaissez-vous les acronymes des programmes de recherche japonais sur les TIC ?) Il a également complimenté l’industrie occidentale pour sa bonne collaboration dans les commissions telles que l’Industrial Internet Consortium. Les entreprises japonaises sont beaucoup moins ouvertes et tentent davantage de tout régler elles-mêmes. Dans un monde où tout tourne de plus en plus autour d’une collaboration et d’une communication ouverte, c’est un handicap. 

People & technology 

Le terme « TIC » n’est clairement plus un mot tabou chez Toyota. Cependant, les gens sont bien conscients des différences de leur approche TPS classique. Ainsi, TPS est considéré comme un système centré sur les individus, qui permet des améliorations ascendantes par de nombreuses petites étapes. L’approche des TIC est, quant à elle, vue comme centrée sur la technologie, où on tente de faire de grands sauts descendants. La crainte à l’égard des TIC a visiblement été dissipée en intégrant dans leur réflexion les TIC comme une autre « machine ». « La création de valeur en atelier naît de la combinaison d’un être humain et d’une machine. La création de valeur au bureau naît également de la combinaison d’un être humain et d’une machine (appelée TIC) », a déclaré Kuroiwa. 

Ce raisonnement permet d’appliquer le point de vue de Toyota à l’égard des machines de production classiques aux TIC. Et c’est très simple : pour améliorer le processus, appliquez d’abord le principe Kaizen, puis, au besoin, investissez dans la technologie. « Vous commettez une grave erreur si vous investissez dans la technologie avant d’améliorer les processus », a déclaré Satoshi Kuroiwa. Sur le lieu de travail, on a en effet appris qu’il est possible de faire suffisamment de progrès grâce à des améliorations de processus et d’éviter ainsi des investissements inutiles.  

Usine NUMMI 

À titre d’illustration, Kuroiwa a fièrement pris l’exemple de l’usine NUMMI à Fremont. L’usine NUMMI était, dans les années 1980, la pire usine de General Motors. Toyota a repris l’usine dans une joint venture unique avec GM. En un an, Toyota est parvenue à transformer l’usine pour en faire la meilleure usine de General Motors grâce à son approche TPS centrée sur l’humain. Les usines GM les plus avancées technologiquement n’avaient rien à envier à l’usine NUMMI low-tech. 

L’amélioration des processus vise, chez Toyota, à raccourcir la durée du processus opérationnel complet pour le client (aussi connu comme la création de flux). Cette efficacité est essentielle chez Toyota. Un investissement dans les TIC n’est donc possible que s’il contribue à la création de flux et si Kaizen ne suffit pas à résoudre le problème. Toyota n’investit donc pas dans les TIC pour améliorer la communication entre collègues travaillant au même endroit. Un contact face à face dans un espace Obeya (espace de management visuel) est toujours préférable. « Investir dans les TIC ne doit être fait que s’il est impossible de faire autrement, et non pas parce qu’un fournisseur de TIC nous recommande un système », était le conseil de Kuroiwa. 

Processus de développement de produits et de production 

Toyota distingue deux processus pour lesquels les TIC sont appliquées : le processus de développement de produits et le processus de production proprement dit, lors duquel on apprécie surtout les TIC en raison de leur puissance pour améliorer l’ensemble du processus de bout en bout (du fournisseur au client). Dans les deux processus, on travaille dur au développement du soutien TIC nécessaire. 

Dans les lignes d’assemblage, on fera usage de RFID pour parvenir à un contrôle autonome et décentralisé. Nous avons ainsi pu remarquer, lors de la visite de l’usine Motomachi Toyota, les témoins « pick/assemble to light » sur la ligne d’assemblage. Dans la chaîne d’approvisionnement, on met tout en œuvre pour déployer un système kanban numérique. À l’heure actuelle, des cartes kanban sont encore retournées aux fournisseurs par le biais d’un transport physique. Ces fournisseurs doivent alors trier manuellement toutes les cartes kanban reçues (parfois des centaines de composants différents) dans un système de bac à courrier. Le système SMART (Sales Logistics Integrated Management) permet de recueillir et de connecter toutes les informations dans la chaîne de valeur, de sorte à créer un lien entre les canaux de vente et la chaîne d’approvisionnement. Les informations entrantes ne seront par ailleurs pas cachées dans des systèmes informatiques, mais visualisées sur des écrans de deux mètres de haut. 

Des systèmes entièrement numériques sont également mis à profit dans le développement de produits. Ainsi, des bases de données know-how numériques et des outils de simulation pour la conception de produits et de processus (y compris des digital assembly workability tools) sont utilisés. Attention : Toyota n’utilise ce système qu’en cas de besoin. Toyota nécessite donc moins d’études de simulation que ses concurrents, car elle gère mieux ses connaissances et réutilise plus souvent des modèles existants. 

Détail intéressant : au Japon, on peut constater une certaine résistance à l’égard des outils numériques ; c’est pourquoi plusieurs projets pilotes ont dû être menés dans une filiale chinoise de Toyota. 

(Photo: Satoshi Kuroiwa)

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