Jusqu’à récemment, le record mondial pour le développement d’un vaccin concernait le vaccin anti-oreillons mis au point en quatre ans. Depuis, nous savons que cela peut aller beaucoup plus vite. BioNTech a lancé son projet « Lightspeed » courant janvier 2020. Ce projet a permis d’aboutir au premier vaccin anti-coronavirus homologué début décembre 2020. Comment a-t-on pu réaliser cette prouesse et quels enseignements les entreprises industrielles peuvent-elles en tirer ?
Leçon 1 : Séparez le développement de technologies et le développement de produits
Un premier jalon important dans le développement du vaccin a été le décryptage et la publication du code génétique du virus en janvier 2020. Ceci a permis d’obtenir en quelque sorte un « jumeau numérique » du virus. Grâce à cette version numérique, les scientifiques ont pu étudier le virus sans l’introduire dans leur laboratoire.
La numérisation dans le processus de développement est cruciale, mais ce n’est pas la leçon que les entreprises manufacturières doivent en tirer. L’utilisation de modèles et d’outils numériques pour développer des produits s’est en effet généralisée depuis des années dans l’industrie manufacturière. Une autre révolution se déroulait déjà en arrière-plan et en toute discrétion. Grâce aux nombreuses années de recherches préalables, on en était finalement arrivé à un point où, à l’aide de technologies existantes, on pouvait configurer un vaccin en fonction du virus. Les différentes technologies (comme les nanoparticules lipidiques abritant l’ARNm) avaient déjà pu faire leurs preuves par le passé dans d’autres thérapies. C’est l’accumulation de technologies qui a permis de développer en quelques semaines seulement les premiers candidats vaccins sur la base du code génétique.
Il s’agit là d’un premier enseignement important pour les entreprises. Pour développer de nouveaux produits avec succès, les entreprises doivent disposer d’un processus de développement fiable et rapide. Ceci contraste avec le processus de développement lent et risqué d’une nouvelle technologie. On ne peut concilier cet antagonisme qu’en séparant le développement des produits proprement dits et le développement des technologies sous-jacentes. La séparation du développement de produits et du développement de technologies est un principe important pour réduire les délais de développement. Si on ne s’en donne pas la peine, les nouveaux développements de produits risquent de s’éterniser et de s’enliser dans divers problèmes imprévus.
La séparation du développement de produits et du développement de technologies suppose de définir une feuille de route technologique qui identifie les technologies pertinentes pour l’avenir. Ensuite, on peut examiner comment on peut acquérir ou développer ces technologies. Souvent, les technologies nécessaires peuvent être achetées auprès de tiers. C’est ainsi que Pfizer/BioNTech a acheté auprès d’Acuitas Therapeutics une licence sur la technologie des nanoparticules lipidiques (LNP).
Leçon 2 : Accélérez les essais
C’est le 23 avril 2020 que le premier volontaire a été vacciné avec le vaccin Pfizer/BioNTech. A peine sept mois plus tard, on connaissait la conclusion prometteuse de l’étude finale de Phase 3. Il n’a fallu que 16 semaines à Pfizer pour recruter 43.000 volontaires pour les essais. A titre de comparaison, en 2013, il avait fallu attendre 813 jours pour trouver 101 volontaires pour tester le vaccin ARNm contre la rage.
Comme pour le développement d’un vaccin, la phase d’essai de nouveaux produits dans l’industrie couvre souvent une bonne partie du temps disponible. Avant de pouvoir tester, il faut souvent réaliser des prototypes et disposer des installations d’essais. Plusieurs stratégies sont envisageables pour accélérer les essais.
Premièrement, on peut réserver à l’avance des capacités dans les départements de prototypage et d’essais, de sorte que les nouveaux produits ne doivent pas faire la queue dans une file d’attente.
Deuxièmement, il faut envisager de séparer au plan organisationnel la production de prototypes et la production ordinaire. Ainsi, le département de prototypage peut disposer de son propre parc de machines et la production ordinaire n’est plus dérangée par des tâches de prototypage. Tant que l’on réalise des prototypes avec les moyens de production de la production ordinaire, les produits futurs viennent concurrencer les commandes en cours. Face à la pression des délais, cette bataille s’achève souvent au détriment des nouveaux produits.
Troisièmement, il faut aussi envisager de prévoir tout simplement des capacités supplémentaires pour éviter les engorgements. L’erreur classique est de penser que l’on pourra utiliser les moyens de manière optimale s’ils sont exploités à 100 pour cent. La recherche d’un taux d’occupation élevé conduit inévitablement à de longs temps d’attente et à des manques à gagner importants à cause des retards de lancement de produits. L’évaluation des pertes encourues par jour de retard de commercialisation fournira une aide appréciable dans la prise des bonnes décisions. Ainsi, le coût de la crise sanitaire pour la seule Belgique a atteint près de 60 millions d’euros par jour. Cela démontre que l’on peut bien dépenser quelques dizaines de millions supplémentaires pour raccourcir d’un jour le délai de commercialisation d’un vaccin.
Leçon 3 : Travaillez sur des petits lots
Le 21 décembre 2020, l’Agence Européenne des Médicaments (AEM) homologuait le vaccin de Pfizer/BioNTech et ce en un temps record de 19 jours après la demande formelle. L’homologation d’un nouveau médicament dure habituellement un an. L’autorité des médicaments consacre environ 210 jours à l’analyse d’une demande. Les autres mois sont dédiés aux communications bilatérales entre l’agence des médicaments et le laboratoire pharmaceutique. L’accélération du processus de décision a notamment été facilitée par le recours aux « rolling reviews » (révisions continues), qui ont permis à l’AEM d’analyser déjà des résultats d’essais intermédiaires avant de disposer des résultats définitifs.
Les rolling reviews sont un bel exemple du principe de réduction de taille des lots. En scindant le travail en plusieurs lots de plus petite taille et en les faisant déjà passer à l’étape suivante, on peut raccourcir les délais d’exécution en assurant un chevauchement du travail sur les différentes étapes. Ce principe peut être appliqué de façon générale, aussi bien dans le développement de produits que dans la production. Par exemple, les concepteurs attendent régulièrement que tout le dossier des plans soit terminé avant de le transmettre à un département suivant. Pour raccourcir les délais d’exécution, il vaut mieux transmettre aussi rapidement que possible un dossier de plans partiel terminé au département suivant.
Leçon 4 : Eliminez l’attente d’informations
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Outre les révisions continues, le délai d’homologation a aussi été réduit grâce à l’accélération des communications bilatérales entre les parties concernées. Voilà encore une leçon utile pour les entreprises : évitez les temps d’attente inutiles liés au fait que des collègues doivent attendre des informations les uns des autres. Réduire ces temps d’attente peut être assez simple.
Une approche consiste à regrouper physiquement les collègues concernés. Cela permet d’éviter d’incessants échanges de courriels et de répondre rapidement aux questions. Si ce n’est pas possible, on peut organiser des transferts chauds. Dans un transfert chaud, des collègues vont se réunir pour discuter du transfert d’informations complexes. Cela permet de mettre en place une discussion au cours de laquelle toutes les incertitudes pourront être levées. Parallèlement, les collègues pourront cerner les informations utiles aux autres. A l’opposé du transfert chaud, il y a le transfert froid, qui consiste à s’envoyer les informations par e-mail ou à les saisir quelque part dans un système. Dans ce cas, le collègue destinataire doit d’abord déterminer lui-même de quoi il retourne, ce qui déclenche une interminable succession d’échanges par e-mail de questions et réponses ambiguës.
Leçon 5 : Veillez à une orientation claire
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Personne ne s’attendait à la crise du coronavirus. Pas même les concepteurs de vaccins, ceux-ci étaient occupés à développer d’autres remèdes. Avec l’intensité de la crise du coronavirus, tous les autres projets ont été mis de côté et on a systématiquement accordé la priorité au coronavirus. Cette orientation claire peut largement expliquer le développement accéléré et la commercialisation rapide des vaccins.
La fixation de priorités claires est un principe important pour réduire les délais d’exécution. Beaucoup de développeurs s’occupent de plusieurs projets en même temps. On perd ainsi beaucoup d’énergie et de temps à passer sans cesse d’un projet à l’autre. Parallèlement, la direction perd du temps à résoudre des conflits de ressources entre les différents projets et l’adhésion des collaborateurs s’en ressent. Limitez donc au strict minimum le nombre de projets sur lesquels l’entreprise travaille. S’il faut malgré tout travailler sur plusieurs projets, veillez à établir clairement les priorités pour que tout le monde s’attelle au projet le plus important.
Sources
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