Pourquoi vaut-il mieux ne pas viser une « paperless factory »

09 mai 2018
Case
Véronique Dossogne

Industrie 4.0 et numérisation sont les formules magiques de l'industrie moderne. La confiance dans les TIC d'aujourd'hui est si grande qu'on parle de révolution industrielle. Dans ce contexte, de nombreuses entreprises s'efforcent d’évoluer vers une « paperless factory » car, il est vrai, le papier est démodé. Mais quel est vraiment le problème du papier et comment le « paperless » peut-il contribuer à une véritable révolution industrielle ?

Le papier comme support d'information

La numérisation comporte différents aspects. L'un d’eux est le remplacement du média, le support d'information. Dans l'industrie musicale, la numérisation des supports classiques (vinyle, cassette) a généré une véritable révolution. Les usines de production de ces supports classiques ont presque complètement disparu et de nouveaux acteurs et modèles commerciaux dominent maintenant le secteur.

Pour les entreprises manufacturières du secteur technologique, le remplacement du papier comme support de données est beaucoup moins révolutionnaire. Après tout, le support de données n'est pas une partie essentielle du produit réel, comme dans l'industrie musicale. Le papier est tout au plus une « aide » qui favorise la circulation de l'information, tout comme l'huile permet aux machines de tourner sans heurts.

L’impact de la numérisation

La véritable valeur ajoutée de la numérisation en usine ne réside pas dans le remplacement du support de données et la réduction de la consommation de papier, mais dans la mise à disposition des bonnes informations au bon endroit et en temps réel. Ceci a des conséquences profondes.

Comme les collaborateurs de production peuvent consulter eux-mêmes des informations à jour sur leurs écrans, ils ne dépendent plus du monopole de l'information de leur superviseur. Cela implique qu'une partie des décisions opérationnelles quotidiennes peut être déléguée aux collaborateurs de l'atelier. Ceux-ci gagnent en autonomie, leur implication s’accroît, et les équipes autogérées dans l'atelier deviennent plus efficaces.

Par conséquent, le rôle du superviseur est métamorphosé. Il n'est plus le héros de l'atelier qui alimente le flux de matériel et d'informations. Cette perte de contrôle est parfois difficile à accepter pour les superviseurs. Les managers doivent en tenir compte et coacher leurs superviseurs pour qu'ils puissent assumer un rôle différent.

Une deuxième conséquence de la numérisation est le raccourcissement des délais. Les collaborateurs devront attendre moins longtemps pour obtenir des informations et pourront donc commencer à travailler plus rapidement. La réduction des délais d'exécution entraîne elle-même de nombreux avantages. Il est plus facile d'approvisionner le client plus rapidement ; en outre, des délais d'exécution plus courts réduisent les stocks intermédiaires (WIP), ce qui se traduit souvent par des gains d'efficacité sur le lieu de travail. La réduction de la quantité de matériel sur le lieu de travail fait diminuer les recherches, occupe moins de place et raccourcit donc les distances des trajets.

Enfin, en numérisant le flux d'information, on peut aussi automatiser le traitement de l'information lui-même. En enregistrant directement la production et les paramètres de processus dans des systèmes numériques et non sur papier, on évite non seulement les réécritures inutiles, mais on peut aussi surveiller la production en temps réel. Cela permet de détecter les problèmes et d'apporter des améliorations plus rapidement.

Sans papier : pas une fin en soi

La numérisation contribue à la création d'une usine performante avec des délais courts dans laquelle des travailleurs motivés et disposant d'une grande autonomie peuvent mettre en œuvre des améliorations plus rapidement. Le travail sans papier n'est qu'un moyen pour atteindre cette fin, et il est donc préférable qu’il ne soit pas élevé au rang de fin en soi. Si l'usine sans papier ou la numérisation est proclamée « fin en soi », on risque de perdre la focalisation adéquate et de prendre de mauvaises décisions. On va numériser des choses pour le plaisir, sans qu'elles servent à des fins économiques tangibles. Le papier a clairement encore sa place dans la production. Les tableaux de gestion visuelle avec des post-it papier, par exemple, sont souvent plus faciles à utiliser dans la pratique que leurs versions numériques. En outre, les bons et les étiquettes en papier demeurent souvent un bon identificateur dans la production.

Conception à long terme

Les entreprises qui réussissent ont une conception à long terme sur laquelle elles travaillent sans relâche. Cette conception peut être différente pour chaque entreprise. À titre d’exemple, citons le quick response manufacturing (QRM), une stratégie de croissance qui met l'accent sur la réduction des temps de traitement dans l'ensemble de l'entreprise, afin de créer un avantage concurrentiel.

Pour de nombreuses entreprises de production, travailler sur la réduction des délais est une approche puissante qui peut unir l'ensemble de l'entreprise autour d'un objectif commun. Pour réaliser des délais courts, plusieurs étapes sont nécessaires : l'adaptation de la structure organisationnelle, la simplification des processus métier, la formation croisée des collaborateurs et l'utilisation d'outils numériques. Attention : l'utilisation d'outils numériques n'est pas une fin en soi, mais seulement un moyen de réduire les délais.

Vous souhaitez en savoir plus sur la méthode QRM ? Les 19 et 20 juin se tient la QRM World Conference à Eindhoven. Le programme de cette conférence inclut notamment une série de workshops et témoignages d’entreprises qui ont mis à profit les avantages de la méthode QRM. Le 21 juin, plusieurs entreprises QRM organisent des visites guidées. Le 18 juin, en prélude à la conférence, Rajan Suri, l’auteur recde la méthode QRM, organise une masterclass.

(Source photo : Dreamstime)

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