World Class Manufacturing au Japon - quelques conclusions (surprenantes)

02 août 2017
Case
Pascal Pollet

Sirris a accepté l’invitation de l’EU-Japan Institute for Industrial Cooperation de passer une semaine au Japon ; nous y avons assisté à une série de conférences et visites d’entreprises. Notre mission : découvrir les dernières tendances et idées au Japon en termes de World Class Manufacturing. Dans ce blog, nous tirons quelques conclusions après une semaine passées là-bas.

Ciblage

Il est frappant de constater à quel point le management japonais est ciblé. En se concentrant constamment sur ce que l’on veut atteindre, on parvient à rapidement réaliser des choses et éviter des discussions improductives. Pour chaque question qu’on rencontre, on retourne à l’objectif visé et on se demande ce qu’il faut mettre en œuvre pour l’atteindre. Si vous ne savez pas exactement ce que vous voulez, toute « solution » est bonne. Aujourd’hui, on entend donc souvent la question tout à fait compréhensible : "Que peut signifier Industrie 4.0 pour mon entreprise ?" C’est une question que les Japonais ne se posent pas tout de suite. Ils vont plutôt se poser les questions suivantes : que visons-nous ? Quel obstacle se trouve sur notre chemin ? Que devrions-nous faire pour l’éliminer ? Une fois que vous connaissez votre objectif et savez quels sont les obstacles, votre recherche de solutions est beaucoup plus ciblée et vous évitez de vous noyer dans un océan de solutions et frénésies prêtes à l’emploi.

Un des participants de la mission a demandé à l’éminent sensei et auteur japonais Shigehiro Nakamura : "Combien de formation devons-nous donner à nos collaborateurs ?" Le sensei a souri. (Réfléchissez un instant - quelle serait votre réponse ?) La sienne était simple : "Commencez par déterminer ce que vous voulez atteindre. Vous ne pouvez estimer votre besoin en formation qu’une fois que vous connaissez précisément votre objectif. En Occident, une formation est considérée comme bonne si l’on a appris quelque chose, et si elle a été amusante. Au Japon, une formation est considérée comme positive, si on peut déterminer qu’elle a contribué à atteindre un objectif prédéterminé, et c’est une grande différence."

Respect

La différence la plus frappante avec les entreprises occidentales est la façon dont elles traitent leurs collaborateurs. Toyota a défini l’amélioration continue et le respect comme les deux piliers de la Toyota Way. De nombreuses entreprises occidentales essaient de devenir 'lean', de s'alléger, en copiant l’approche de Toyota, et nombreuses sont celles qui ont développé un "programme d’amélioration continue". Mais qui travaille à augmenter le respect pour le collaborateur ? Pensez un instant aux espaces de stationnement réservés aux cadres dans certaines entreprises. L’organisation signale ainsi que les collaborateurs doivent faire preuve de respect pour les dirigeants en leur permettant de se garer sur quelques places privilégiées. Avec le pilier de respect, on entend juste l’inverse : ce sont d’abord les dirigeants qui doivent faire preuve de respect à l’égard des collaborateurs. Pourquoi les meilleures places de stationnement ne pourraient-elles pas aller à ceux qui arrivent en premier ? Si vous voulez réellement être ‘lean’ en tant qu’organisation, n’oubliez pas ce deuxième pilier et supprimez ces panneaux de stationnement.

People development

Une entreprise ne peut se développer que si ses collaborateurs s’épanouissent. Les bons collaborateurs sont à la base de bons procédés qui, à leur tour, assurent de bons résultats. Si vous voulez améliorer votre entreprise, vous devez investir dans votre personnel. Si je demande à un manager flamand à quoi il travaille, je reçois généralement deux types de réponses. Soit il s’occupe de la mise en œuvre d’un système informatique (généralement ERP), soit il se charge d’implémenter un programme ‘lean’. Nous avons reçu une toute autre réponse des managers japonais. Ils étaient occupés à « développer la mentalité kaizen chez les collaborateurs ».

Personne n’a parlé de ‘lean’, mais tous utilisaient avec fierté le terme monozukuri. Ce concept signifie "l’art de fabriquer des choses et d’affiner en permanence tous les processus." Au Japon, le ‘lean’ est vécu d’une toute autre manière. Alors qu’il est souvent comparé, chez nous, à la mise en œuvre d’une série d’outils (5S, kanban, SMED, etc.), le lean est vécu au Japon comme un processus d’amélioration continue, grâce à l’expérimentation, et donc pas comme l’implémentation de solutions. Implémenter suppose que vous connaissez déjà la solution et que vous pouvez la déployer aisément dans votre organisation. En expérimentant par étape, on découvre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. La solution n’est donc pas fixe à l’avance, mais se développe au cours du processus d’expérimentation. Voilà l’essence de la mentalité kaizen au Japon. Selon le sensei japonais Nakamura, notre mentalité d’implémentation est aussi la raison pour laquelle de nombreux projets échouent en Occident. Nous essayons bêtement de copier les outils de Toyota dans des environnements qui ne sont pas adéquats. Morale de l’histoire : "A fool with a tool, is still a fool."

Culture d’entreprise

La culture d’entreprise japonaise ne s’arrête pas en si bon chemin et a énormément évolué au cours des 15 dernières années. Le redressement de Nissan grâce au manager brésilien Carlos Ghosn a changé radicalement les esprits au Japon. On y parle de choc Ghosn. Le principe d’ancienneté des collaborateurs qui sont promus en fonction de leur âge est progressivement abandonné. De plus en plus de collaborateurs sont promus en fonction de leurs mérites.

L’emploi à vie dans une même entreprise est révolu. Un tiers des nouveaux collaborateurs quitte la société au cours des trois premières années. Toyota a même rapporté que jusqu’à 50 pour cent des travailleurs d’assemblage ont déjà quitté l’entreprise après trois ans. La fin de l’emploi à vie a plusieurs causes. D’une part, les entreprises veulent un bassin d’emploi flexible afin de répondre rapidement aux conditions changeantes du marché. D’autre part, les collaborateurs sont moins fidèles et préfèrent changer plus rapidement pour un travail plus intéressant.

La force de l’approche japonaise est clairement dans leur attention portée aux personnes et aux processus d’entreprise, et moins à la technologie. Certaines usines japonaises ne seraient pas autorisées en Europe pour des raisons de sécurité. Lors de ces visites, nous avons rarement vu une technologie remarquable. Les Japonais sont même fiers que d’anciennes machines fonctionnent encore, car cela prouve qu’ils les entretiennent correctement.

En conclusion

Une question pour conclure la semaine ? "Imaginez-vous arriver en tant que nouveau manager dans une entreprise qui tourne mal : les résultats financiers sont mauvais, et le personnel est démotivé. Quelle serait l’approche japonaise pour résoudre ce problème ?" La réponse du sensei Nakamura a assemblé toutes les pièces du puzzle. Tout d’abord, allez vers les gens et demandez-leur quels sont leurs problèmes. Ne venez pas avec un plan, mais montrez-leur que vous écoutez vraiment leurs inquiétudes (= montrer du respect). Ensuite, expliquez-leur ce que vous pouvez atteindre en appliquant kaizen et ce que cela peut signifier pour eux (= people development). Enfin, élaborez un plan et indiquez clairement qui doit réaliser quoi pour atteindre l’objectif proposé (= travail ciblé).

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